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Cornimont pendant le confinement, texte d'Elodie Derdaele

VIE ET TREPAS A CORNIMONT AU TEMPS DU CORONA OU COMMENT RACONTER LE CONFINEMENT A MES FUTURS PETITS-ENFANTS (17 mars-10 mai 2020)

Texte et photo d'Elodie DERDAELE

VIE ET TREPAS A CORNIMONT AU TEMPS DU CORONA OU COMMENT RACONTER LE CONFINEMENT A MES FUTURS PETITS-ENFANTS (17 mars-10 mai 2020)


De faire part en faire part, de chagrin en chagrin, les noms défilent dans le journal du matin. Pas de mariages que des enterrements. Et 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 etc. la liste s’allonge inlassablement et à la fin, on ne compte même plus le nombre de personnes qui comptaient pour soi. Un père, une mère, un papy, une mamie, un ami, un cousin, un vieux collègue, une camarade de communion, un conscrit, une tante, une institutrice, un voisin, que sais-je encore ? Le mal frappe indifféremment, à l’exclusion notable des enfants, et il se rapproche. Après s'en être pris à l'Italie voisine, le virus envahisseur entame sa bataille de France en prenant l'Alsace et la Lorraine qui, en l'absence de protections efficaces, n'opposent qu'une faible résistance, comme le grand quart nord-est d'ailleurs. Pris d’une envie irrépressible de parler, on se répand alors au téléphone pour prendre des nouvelles, se rassurer et se tenir chaud. Dire les banalités qui font le prix des choses, rendre un hommage posthume et numérique à défaut de cérémonies officielles et publiques. Se remémorer les souvenirs du défunt avec des anecdotes plus ou moins croustillantes : d’une aube qui a failli brûler le jour de sa communion, d’une alliance perdue, d’une paire de gifles magistrale pour une faute d’accord à un participe passé, d’un tic de langage, d’un fort accent vosgien, d’une engueulade ou d’une cuite mémorable. Car on ne le dira jamais assez le respect dû au défunt n’exclut pas la moquerie, pourvu qu’elle soit sincèrement tendre. Qui aime bien, châtie bien, dit un dicton et ce sont ces tout petits riens qui réconfortent les proches et les accompagnent dans leur deuil. Mais de tout cela, on en a été privés. Plus de retour de fosse, plus de brioches, plus de bières, de thés ou de cafés fumants partagés ; les bistrots, si proches de l’église, sont fermés au public. On ne peut déjà plus claquer la bise et serrer les paluches. Pas même rire et pleurer ensemble… sauf à distance, à cause de ce fichu virus, venu du lointain pays de Chine, et qui se transmet de proche en proche.
Le carnaval du village est annulé avant le grand confinement. Particulièrement sensibles au virus, les pensionnaires de la maison de retraite sont déjà confinés dans leurs chambres et privés de visite. Les autres habitants tremblent à l’approche d’un véhicule de pompier ou d’une ambulance et de ses occupants, vêtus comme s’ils revenaient de la centrale de Tchernobyl. Pour protéger la population de l’épidémie, en l’absence de vaccin et à défaut de protections, de masques notamment y compris pour les soignants, ainsi que de lits en réanimation en nombre suffisant, le gouvernement décide de confiner tout le monde. Mais pour cela, il aura attendu, contre toute logique, la fin du premier tour des élections municipales, qui aura cependant vu l’élection de notre propre conseil. Dès lors, les sorties sont strictement limitées, nos libertés entravées et les amours naissantes privées de câlins et de baisers. La France est en état d’urgence sanitaire. Nous voilà tous assignés à résidence, sauf pour travailler (et encore), alors que nul d’entre nous ne s’était rendu coupable de quoi que ce soit. C’est simple, c’est radical, c'est archaïque ; pour préserver des vies, on gomme toute vie sociale. Des personnes atteintes du coronavirus sont invitées à rester chez elles et patientent. Mais face à la maladie, on n’est pas tous égaux. Certains ignorent même l’avoir contractée, d’autres en souffrent légèrement et d’aucuns plus sévèrement. Parmi les patients, beaucoup se plaignent de maux de tête, de perte de goût et d’odorat, de difficultés respiratoires, d’une grande fatigue ; mais ils encaissent, avec un grand civisme, pour ne pas encombrer les hôpitaux, déjà surchargés. Ce n’est que contraints et forcés, au vu de l’aggravation des symptômes, qu’ils requièrent les urgences pour une prise en charge. Il faut des semaines pour récupérer pleinement de cette maladie voire des mois pour ceux qui ont été admis en réanimation.
Et un jour, c’est la sidération. Notre paisible petit village fait la une des journaux, dont l’un célèbre pour le choc de ses photos. Rien de racoleur cependant ; l’honneur du village et de sa maison de retraite est sauf, jusqu’en Angleterre qui s’était ainsi fait l’écho de cette sinistre hécatombe chez nos anciens. Les reportages révèlent notamment une directrice et des personnels pugnaces qui soignent avec les moyens du bord, en sachant compter sur le soutien de la protection civile.
En France, c’est bien connu, on n’a plus de masques mais on a des idées. Alors pour éviter que d’autres noms ne viennent grossir la liste de nos morts, les couturières de notre terre Textile, confectionnent, dans un élan de générosité, des masques, tandis que d’autres apportent les produits de première nécessité et les repas aux plus vulnérables. La solidarité joue à plein.
Tout est néanmoins sens dessus-dessous. On va jusqu’à remplir ses propres autorisations de sortie, et l'on se souvient nostalgiques de ces années de lycée où l'on grugeait le censeur et les pions en imitant la signature parentale, pour fuir le bahut et sécher les cours ! Plus besoin de contrefaçon avec le coronavirus ; on a même perdu le plaisir de duper l'autorité. Pathétique ! Les Français se rêvaient rebelles ; et, contre toute attente, ce peuple se révèle le plus discipliné d’Europe ! Décidément tout se perd, y compris l’âme réfractaire des coqs gaulois qui relèvent juste leur crête sur les réseaux sociaux pour se répandre contre le gouvernement, puisque seule demeure la liberté d'expression ! Pour être héroïque et sauver des vies, il suffit de rester chez soi. C’est le mot d’ordre accepté de tous. Les sorties individuelles sont strictement encadrées aux besoins dits de première nécessité, comme l’achat de biens alimentaires et de tabac (!), mais pas seulement. On atteste aussi sur l’honneur que l’on sort bien Médor pour le faire crotter à un kilomètre à vol d’oiseau de son domicile. C’est qu’il faut être précis et justifier que l’on ne dépasse pas l’heure et les distances autorisées de promenade pour éviter une amende salée. C’est véritablement le monde à l’envers. Pêle-mêle, les chiens promènent leur maître. Des sportifs de canapé, légèrement bedonnants, courent faire le tour de pâté de maisons. Des amoureux de la nature, en forêt désormais interdite, se cachent des hélicoptères, tels des contrebandiers. Des gendarmes soupçonneux vont jusqu’à scruter le contenu des caddies à la recherche de produits superflus. Sur ordre présidentiel, les élèves sont priés de ne plus venir à l’école et doivent dès lors scruter leurs écrans pour suivre les cours à distance ; tandis que les enseignants qui, a priori n'ont pas mieux à faire, sont invités à cueillir des fraises ou des asperges pour soutenir la cause agricole (si, si, je n’invente rien, c’est la porte-parole du gouvernement qui l’a préconisé). Le baccalauréat et le brevet ne sont pas délivrés à la suite d’épreuves terminales. Pour un peu, nos ados perdraient l'habitude de geindre sur tout. Il faut dire que, depuis leur puberté, leur chambre s'est transformée en tanière. Alors vous pensez ! Le confinement, même pas peur ; à moins bien sûr, qu'il n'y ait plus de Wi-Fi. Parce que là, c'est le drame ! De fait, les grandes vacances (sans l'agrément du dépaysement) commencent à la mi-mars. Toutefois des parents consciencieux s'improvisent professeurs mais réalisent très vite qu'enseigner est un métier et que les programmes scolaires ne sont pas aussi légers que prévus. Car avec le temps, le théorème de Pythagore, la Révolution française, le roman de Renart et le prétérit sont devenus de lointains souvenirs… A l’inverse, les pouvoirs publics se substituent aux parents, en expliquant comment se laver les mains, se saluer, faire et ranger ses courses… En mal de coiffeurs, des coquettes se font des cheveux blancs. Les chevelus se désespèrent de leurs épis et de leur coupe mulet. C'est la revanche des chauves ! On se lave frénétiquement les mains, toute la sainte journée, dès qu’on ouvre une porte, touche un objet quelconque ; mais on oublie le reste et on se néglige. Les malades chroniques ne se soignent plus, ou mal, de crainte, et c'est un comble, d’être contaminés à l’hôpital, qui est devenu par la force des choses l’un des principaux foyers de propagation du virus. Notre préfet interdit les « rassemblements statiques » qui ainsi, ô sacrilège, remet en cause nos fameux couarôges dans l’espace public, mais son arrêté est fort opportunément annulé par le tribunal administratif, à la demande des amis de la liberté et de la conversation débridée. Comme la réglementation proscrit la fréquentation des squares et des jardins, les courses effrénées des bambins et les épanchements amoureux disparaissent du décor. Les rues sont aussi vides que tristes ; les voitures circulent à peine et on entend mieux le chant des oiseaux. Des habitants font du tapage à 20 h pétantes, réglés comme des coucous suisses, non en raison d’un skype-apéro quelque peu arrosé ou d’une ingestion inconsidérée de gel hydroalcoolique … mais pour honorer les personnels soignants mobilisés en première ligne. Des salariés, dits « non essentiels » et ne pouvant travailler à distance, ne sont plus rémunérés par leurs patrons, mais par l’Etat ; cet Harpagon public, devenu subitement prodigue, consent à ouvrir grand sa cassette pour soutenir les entreprises et contenir un chômage explosif dans les usines et les services (en particulier touristiques, si importants dans nos vallées...). Les supermarchés deviennent les derniers endroits à la mode ; tandis que les pharmacies, mais aussi les rares commerces autorisés à poursuivre leurs activités, s'adaptent, tant bien que mal, pour satisfaire une clientèle inquiète et moins dépensière. Oh certes, dans les officines et dans les magasins, il y a bien quelques ruptures de stock, comme en temps de guerre. Pour certains produits, on est même allés jusqu’au bout du rouleau. Mais plus sérieusement les travailleurs invisibles, les manuels, deviennent visibles. Quant à ceux que l’on appelle les « intellectuels », ils sont tout bonnement renvoyés à leurs chères études, chez eux. La maison devient ainsi le bureau et c'est la confusion totale. En lieu et place des collègues, des petits chefs et de la machine à café, on y trouve un conjoint impatient de passer à table, une marmaille bruyante et envahissante, en mal d'attentions et de connexion de qualité, ainsi que sa machine à laver et son téléphone qui n’arrête pas de sonner.
On assiste alors à une véritable inversion de la hiérarchie sociale. C’est une révélation. Oui, il existe bien des métiers essentiels, ou plutôt vitaux, qui exigent la présence physique des professionnels. Lesquels me direz-vous ? C’est simple, il suffit de regarder les fiches de paies, et de voir quelles sont les catégories de personnels les plus mal payées. CQFD. Les petites mains qui ont dû travailler pour le bien de la Nation en supportant tous les risques, voire certaines vexations, sont enfin à l’honneur ; le resteront-elles ? Pas sûr !
Cornimont l’ouvrière a su modestement, comme d’habitude, braver la tempête, sans tambours, ni trompettes, mais avec vaillance. Ironie de l’histoire, on a rarement vu dans le village un aussi beau printemps qu’au temps du confinement, deux mois pleins de soleil éclatant ! La vie reprend désormais peu à peu son cours, en tenant compte des distances que l’on doit respecter les uns vis-à-vis des autres, tout en avançant masqués. On se retrouve à la fois déconfinés et confits ; c'est-à-dire un peu plus gras, tant on a abusé d'alcool, de cacahuètes et de pâtisseries. Et si nos cheveux sont mal taillés, jamais nos jardins et potagers n’ont été aussi bien entretenus. Mais avec le temps, tout passe, tout lasse, tout casse. C’est pourquoi je m’empresse d’adresser à tous ces anonymes qui ont œuvré pour le bien de la collectivité, un merci fraternel, à tous ceux qui ont perdu ou vont perdre leur emploi ou leur entreprise, tous mes vœux pour retrouver une activité professionnelle satisfaisante et enfin, aux victimes des violences confinées, aux malades, aux défunts ainsi qu'à leurs proches, une amicale pensée.


Elodie DERDAELE, Cornimont le 30 mai 2020.


Photo de Cornimont post-confinée, prise depuis la Vierge.

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